« Sœurs »
taille douce et gravure sur bois, 2020
Dans cette série, l’île, l’abeille, les femmes de marins et les souvenirs d’enfance sont une seule figure, le visage de la sororité.
Entrer dans un livre c’est parfois entrer dans ce grenier au sommet de notre maison mémoire.
Le livre « Tu m’avais dit Ouessant » de Gwenaëlle Abolivier m’a fait entrer en souvenir. C’est comme reprendre une route dont on connaît les couleurs par cœur même les yeux fermés.
Le bleu, le vert, le violet, le vermillon, un certain jaune. La finesse d’un noir, sa brutalité. La douceur transparente du rose. Ces couleurs portent une charge symbolique dont l’harmonie apaisante ou agité produira le sens. Elles sont la mémoire du paysage et notre premier vocabulaire.
Ouessant est l’île des femmes, elles ont sculpté les champs par les murets de pierres. Des alvéoles de granite pour s’abriter du vent et faire pousser légumes et arbustes. Telles les abeilles elles ont bâti une île à leur échelle.
Ile sentinelle, Ouessant figure de longue date parmi les secteurs de navigation les plus denses de France. Elle abrite une autre sentinelle indispensable à notre vie : l’abeille noire sauvage. Cette abeille noire est l’ambassadrice de mes recherches car c’est elle qui nous fait la vie en technicolor.
La nouvelle Shéhérazade
Dans mon processus de création tout vient du paysage (même urbain) et l’œuvre se fait dans cette suite logique : la récolte, la composition et le récit. Les images naissent sur la presse et s’épaississent de références en sortant de l’atelier. Sur mon chemin d’atelier,tous les jours, je croise le visage de Fanny Ardant en affiche avec la sortie du film ADN de Maïwenn. Alors quand Valérie Masson Delmotte, mon modèle en étude prend un faux airs de Fanny Ardant jouant la Shéhérazade : c’est le principe des poupées russes qui s’infiltre dans l’œuvre. L’imprévu surgit dans la technique : du fait de l’essuyage de l’encre, le tirage en taille douce sera toujours un peu unique, et très différent dès lors que je laisse plus ou moins d’encre sur la plaque gravée. Ce jeu de sculpter l’encre avec les doigts éclaire les traits d’un visage nouveau et pourtant toujours celui de ma climatologue. C’est la même matrice mais ce deuxième tirage sur papier Fabriano transforme Valérie Masson Delmotte. Cette suite est tellement logique que je décide de garder la belle apparition. En effet, je fais le portrait de la coprésidente du groupe n°1 du GIEC, chargée de réunir les rapports des experts du monde entier en vue de la publication et ensuite de la synthèse de ce rapport pour les dirigeants et au détour de la presse, et de l’influence du contexte, elle devient cette nouvelle Shéhérazade, la conteuse des milles et unes nuits, celle qui si elle ne raconte pas meurt.
Les grains de pollen de châtaignier ont l’échelle parfaite pour éclairer d’étoiles les nuits de La Shéhérazade. Ce concentré de jaune ajoute la touche de réel dans cette fiction à épisodes. Les abeilles sont dans leurs nids, novembre étire sa nuit chaque jour de quelques minutes supplémentaires. Nous plongeons dans un bleu mauve, cette couleur entre chien et loup qui enveloppe mon regard. L’œil sauvage est là sous chaque portrait, il symbolise la porte d’entrée du réel dans l’imaginaire.